L’Affaire du siècle a commencé fin 2018 par une pétition contre l’État… pour sauver le climat. Elle a été tant appréciée qu’un million de personnes l’ont signée dès la première journée ! C’était si cool de signer cette pétition qui faisait du bien et n’obligeait individuellement à rien. L’État, souvent considéré responsable de tout, serait peut-être aussi reconnu coupable de beaucoup. Cette pétition virale, qui a recueilli plus de 2,3 millions de signatures, a muté en un procès mené par des ONG [1] de renom, réunies sous cette appellation. Ce procès homérique, voire dantesque, vise à mettre l’État sous pression car ce dernier est soupçonné de tarder à délivrer les résultats sur lesquels il s’est librement engagé.
Responsabilité des entreprises
Ce procès intéresse aussi toutes les entreprises qui inscrivent dans leurs statuts des raisons d’être écologiques (cf. l'analyse des 100 raisons d’être enfantés par la loi Pacte). Elles se demandent à quelle jurisprudence elles seront exposées si elles sont appelées un jour à la barre pour témoigner de leurs objectifs RSE manqués. L’enjeu mérite la lecture et l’analyse des 38 pages du jugement (à télécharger içi).
À sa lecture, on se demande si les ONG qui crient en chœur « J’accuse ! » désirent davantage faire avouer à la puissance publique son impuissance à enrayer le réchauffement climatique qu’œuvrer à travailler de concert avec ce dernier. Ce procès est aussi symbolique car les ONG demandent… deux fois 1 euro pour le préjudice moral et écologique ! Enfin, il a tout d’une super production cinématographique : un titre catchy qui rappelle dans l’inconscient collectif l’affaire Dreyfus, une intrigue de rêve entre l’exécutif et le judiciaire et un casting hors pair de stars politiques et médiatiques.
L’intrigue est bien trouvée : à la barre, aiguillonné par des ONG en colère, le pouvoir judiciaire doit « juger » le pouvoir exécutif, alors que ces deux piliers démocratiques se disent, depuis qu’ils ont été séparés pour défendre nos libertés, « je t’aime moi non plus ». Le jour J, celui du premier jugement et non du dernier, on trouve d’un côté des ONG qui s’arrogent la prérogative de parler « au nom du peuple français », et de l’autre une ministre membre d’un gouvernement élu par le même peuple français ! D’après des sources autorisées, l’État serait irrité de cette initiative, qualifiée d’un crime de lèse-majesté démocratique. Depuis quand des ONG qui bénéficient souvent de deniers publics et de dons déductibles à 66% de l’impôt sur le revenu se mettent-elles à attaquer l’État en justice ?
Anciens ministres et avocats médiatiques
Le casting est digne d’un block-buster : l’ex-ministre Cécile Duflot, directrice générale France d’Oxfam, est la première à apparaître à l’écran. Cécile, qui porte le prénom de feue ma grand-mère, n’hésite pas à aller au clash. Elle accuse cash la ministre de l’Écologie de manquer à ses engagements et de « méconnaissances » répétées. Cette DG aux airs de Jeanne d’Arc, qui a essuyé des revers de fortune dans sa carrière qui l’ont fait grandir, est une femme libre. Elle a en plus la double chance d’aimer et d’être aimée par Arié Alimi, un avocat « politique » qui, tel le chevalier Du Guesclin, se bat pour le bien. Il n’est pas le seul à porter la robe (unie et pas à fleurs, celle-ci), car toutes ces ONG sincères ont sollicité une myriade d’avocats, certainement les meilleurs de la terre. Ces derniers ont peut-être refusé d’être payés cher pour sauver notre terre, mais apprécient d’être cités pour la postérité. Oui, ces défenseurs du droit aimeraient bien rester dans l’Histoire pour avoir fait condamner l’État.
La ministre accusée récusera tout en bloc, sans reconnaître à moitié ses fautes, qui lui auraient été peut-être à moitié pardonnées par Cécile Duflot, femme politique catholique. Ce combat démocratique est arbitré par un juge administratif fier de ses performances : 80% des décisions de son tribunal sont confirmées en appel, annonçait-il fièrement dans Nice Matin. Il est entouré par deux rapporteuses, Anne Baratin, qui n’en raconte aucun, et Amélie Fort-Besnard, la rapporteuse publique qui nous dit tout.
À la fin de la lecture du jugement, moi qui aime l’élégance des jurisprudences mais ne suis ni docteur en droit, ni scientifique de la politique, je demeure circonspect car tous les protagonistes semblent avoir gagné. Le préjudice moral est reconnu pour les ONG, mais en même temps on décide que « les conclusions des quatre requêtes tendant au versement d’un euro symbolique en réparation du préjudice écologique sont rejetées » (article 5) !
Le message ? La culpabilité
Les spécialistes du droit aimeront sûrement discuter de ces euros symboliques échangés tels des dons et des contre-dons du potlatch entre politiques et ONG. Je reste sur ma faim en attendant les deux mois pour savoir si – et surtout comment – le tribunal enjoindra à l’État « de faire cesser pour l’avenir l’aggravation du préjudice écologique constaté, et de prendre toutes les mesures permettant d’atteindre les objectifs que la France s’est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre ».
Plus encore que le jugement, je me dis, en pensant à Marshall McLuhan [2], spécialiste des médias, que si le médium est ici le procès, alors le message est la culpabilité. Ce qui n’aidera pas à trouver des solutions mobilisant la coopération, la concertation et la médiation entre l’État et les ONG !
Décidé à trouver un sens à tout cela, je me suis demandé lors d’une nuit d’insomnie ce qu’Émile Zola aurait pensé de ce drôle de procès administratif. Peut-être qu’il aurait accusé…
La prétention de l’État à s’engager pour ses citoyens. Zola aimerait peut-être un jugement qui oblige l’État à prendre des engagements… surtout pour ses services et non pour ses électeurs. Ce serait si inspirant que l’exemplarité étatique soit préférée à la fiscalité « écologique ».
L’allongement des délais pour arriver à ce jugement. Zola aimerait peut-être un jugement qui oblige l’État et les ONG à faire moins que 665 jours pour juger. Le tribunal a sûrement estimé qu’il valait mieux se hâter lentement sur le climat pour juger parfaitement, que de juger rapidement pour se hâter à enrayer la situation...
L’attention portée à la délimitation des responsabilités. Zola aimerait peut-être un jugement qui oblige les parties à sortir de leurs seules culpabilités exclusives, comme ici : « L’État doit être regardé comme responsable, au sens des dispositions précitées de l’article 1246 du code civil, d’une partie du préjudice écologique, pour le surplus, leurs conclusions doivent être rejetées. »
Et toi ?
Je me suis aussi demandé de quoi Émile Zola pourrait m’accuser moi, comme le fait parfois mon surmoi qui me réveille, en sueur, exsudant une odeur de peur. Je crois qu’il me dirait :
« Ludovic, je suis las d’accuser et je préfère aimer, mais si tu insistes, je te dirais… Ludovic, citoyen lambda, je t’accuse :
de trop patienter : deux ans de perdus à attendre le jugement, c’est vingt ans à rattraper dans dix ans, car la détérioration de la planète est exponentielle et non linéaire ;
de trop espérer attendre de la condamnation de l’État, comme l'a dit Philippe Descola sur France Culture : "Attaquer l’État, c’est considérer que l’État est responsable d’un état de fait. Se retourner vers l’État pour dire 'vous avez une responsabilité', […] c’est se défausser de sa responsabilité de citoyen" ;
de sous-estimer ta capacité à changer les choses : un effet papillon écologique vaut plus qu’une certification du même nom.
Mais surtout je t’encouragerais à lire des points de vue vivifiants, comme le dernier livre de Marc Guillaume, Énergies ultravertes, aux éditions Descartes et Cie, qui a l’audace de renverser les points de vue sur les énergies. L’énergie est notre avenir alors… réveillons-la ! Et je finirais par cette citation empruntée à Gandhi : "Ludovic, sois simplement le changement que tu souhaites voir advenir." »
Sentimentalement vôtre
[1] Oxfam France, Notre affaire à tous, Fondation pour la nature et l’homme, Greenpeace France
[2] « Le message, c'est le médium » (en anglais, « The medium is the message ») est une phrase emblématique de la pensée de Marshall McLuhan, philosophe canadien des médias. Elle signifie que la nature d'un média (du canal de transmission d'un message) compte plus que le sens ou le contenu du message.
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